Le « Père Joseph », vivait dans les années 1960 dans un immense bidonville, à la porte de Paris. Il fallait des bottes pour aller le voir, la plupart des maisons étaient en tôle voûtée. Sa maison et son bureau étaient là, avec les pauvres.
Sa parole est dure, mais elle n’est pas gratuite. Son obsession : les plus petits doivent grandir eux-mêmes, ils sont capables autant que nous, ils nous apprendront beaucoup, si nous les accueillons au lieu de les assister.

« Dans nos sociétés d’abondance, la famille déshéritée est le plus souvent occasion de rejet, de mépris, d’exclusion. Au fond, les familles les plus pauvres nous donnent toujours l’occasion de jeter notre venin, de pouvoir faire sortir de nous toutes nos répulsions et nos agacements.
L’Évangile, c’est tout à fait le contraire de ce que pratiquent nos sociétés. Il exige que cette famille totalement démunie devienne le lieu autour duquel tous les hommes puissent se rencontrer, pour découvrir à travers elle les aspirations profondes de l’humanité.

C’est pourquoi nous comprenons que le Christ nous dise d’aller les chercher : Allez à travers les chemins, les villages… quittez vos aises, vos conforts, mettez de côté vos projets, déstabilisez-vous en permanence pour les ramener à la table du festin.
Car si les pauvres ne sont pas parmi vous, si leur libération n’est pas votre préoccupation essentielle, non seulement vous handicapez votre vie, mais vous la perdez ; et la société, elle non plus, ne pourra pas réaliser son dessein de liberté, d’égalité, son dessein de paix.

Il n’y a pas d’autre alternative : ou nous allons chercher les plus pauvres, ou le monde échoue. Car sans les plus déshérités, le monde est muet. Les hommes politiques pourront parler, les scientifiques, les Églises, peuvent parler tant qu’ils veulent, mais lorsque la voix des plus pauvres ne se fait plus entendre, le monde est muet.
Car il n’y a qu’une brèche par laquelle Dieu puisse investir le monde : la seule brèche est le monde de la misère. Ainsi donc, le Christ s’affiche comme le plus déshérité d’entre les hommes, et s’il a vécu ainsi parmi nous pendant trente ans pour l’affirmer, il l’affirmera jusqu’à la fin des temps. Il se présentera comme le Crucifié, et rien d’autre que le Crucifié ressuscité.

(…) Un des péchés de l’Église est de penser que lorsqu’elle fait du social, et qu’elle a défendu certains droits, elle aurait répondu à sa vocation.

(…) Ce que les plus pauvres attendent de nous dans l’Église, c’est que nous lui exprimions la plainte qui est la leur, la tâche qui est la leur : de pouvoir construire la prière de l’Église, de pouvoir construire l’Église ; leur place est la première et ils attendent que nous l’acceptions.

(…) Cela nous étonne peut-être, certains en seront scandalisés. Pourtant, il me faut l’affirmer, les plus pauvres sont le fondement de l’Église.

(…) De même que le Christ « pierre rejetée des bâtisseurs, est devenu la pierre d’angle », de même les bannis, les rejetés, ceux que le monde considère comme déchet de l’humanité sont la pierre angulaire de l’Église. D’une Église elle-même humiliée, incomprise, méprisée. Il nous faut laisser descendre en nous cette vérité fondamentale et nous laisser transformer par elle si nous voulons faire quelque chose de valable en Église pour l’humanité.

C’est tout enfant que j’ai commencé à apprendre cela, au temps de l’anticléricalisme, de la grande bagarre pour l’école, où les prêtres ne pouvaient pas sortir dans la rue sans se faire insulter. Plus tard, la première fois que je suis venu à Paris en soutane, à 28 ans, je me suis fait insulter moi-même à la porte du métro. J’étais un jeune prêtre bouillonnant, et l’homme qui m’a fait cela est parti à l’hôpital : tout humble prêtre de l’Église Catholique que j’étais, je n’admettais pas l’insulte à ma soutane. Ce que doit être un prêtre : un homme incompris, insulté, humilié, se voyant claquer la porte au nez, c’est dans le monde de la misère que je l’ai vraiment compris.

Plus nous serons pauvres et humiliés dans le monde, plus nous seront riches pour les âmes, plus d’autres hommes seront honorés. Plus nous seront méprisés, plus nous serons à égalité avec les méprisés du monde.

Telle est la condition du sacerdoce, mais telle est aussi la condition des laïcs, de tous les baptisés.
C’est à travers l’acceptation d’être comme le Christ que les baptisés sauvent et transforment l’humanité.

S’il y avait moins d’orgueilleux dans l’Église, il y aurait beaucoup plus de paix et d’amour dans les rapports entre les hommes.

Extraits d’une conférence à Annecy, 24 janvier 1984
Le père Joseph, Joseph Wresinski (1917-1988), a fondé ATD Quart-Monde.
2017/05 – GF